mercredi 3 décembre 2008

Pourquoi ne pas mettre ses images dans un microstock

Je vous conte une petite anecdote, pour le fun : Un bon copain que l'on pourrait classer parmi les amateurs experts, reçoit un coup de fil d'une agence de pub parisienne :

"Bonjour, nous avons vu sur votre site une très belle image qui pourrait fort bien coller pour un projet de visuel pour la promotion de ... " suivent le plan média (énorme : Affichage 4 par 3 - Affichage « Culs de Bus » - Affichage « portes de métro » - Mailing - Catalogues alimentaires Auchan / Carrefour / Leclerc - Produits dérivés - Internet, etc.) plus une demande de devis à envoyer en urgence.

Mon ami m'appelle pour me demander conseil et je lui rédige un devis de cession de droits d'auteur pour 9800 euros. Le lendemain le devis est accepté sans discussion (je me dis mince, j'aurais dû demander 12000 euros !) mais l'agence précise qu'elle est en compétition pour ce projet avec d'autres agences.

15 jours plus tard : Champagne ! L'agence : " notre projet à été retenu, votre photo a fait l'unanimité, félicitations, le client est enthousiaste ! "

Trois jours plus tard : Le directeur artistique de l'agence appelle furieux
: " Le client vient de voir que votre photo était en vente pour 1 euro sur un microstock, qu'elle a déjà été vendu 12 fois, qu'est ce que c'est que cette histoire ? "

Je vous laisse imaginer la suite, une belle brochette de créatifs qui sont passés pour des rigolos, projet bien évidemment à l'eau et mon copain (qui n'avait jamais osé me dire qu'il bricolait avec les microstocks) dans un état catastrophique. La leçon lui a tout de même permis de comprendre que toute photos bradé en libre de droit 1 euro (ou 0,14 euro par abonnement) à un site de microstock est définitivement perdue, l'auteur en perd le contrôle, en plus de perdre son honneur...

Une leçon à 9 797 euros (9 800-3 euros que lui a rapporté la photo sur ce microstock !)

Pour une photographie équitable

Vous trouverez ci-dessous un texte de Catherine Deulofeu, Fondatrice de l'agence Biosphoto :


Chaque année le prix des photos baisse, inexorablement. Les raisons sont multiples, parmi lesquelles l'utilisation généralisée du numérique et l'idée reçue selon laquelle tout le monde serait capable de produire de belles images, vient ensuite l'ouverture des photothèques en ligne avec possibilité d'acheter mondialement, pour finir par l'apparition des agences de microstocks, euphémisme pour parler de micro prix.

La profession est tellement abasourdie par ces changements, que le Libre de Droit, frayeur des années 2000, passe pour un vaillant défenseur du droit d'auteur.

Le but de cette chronique n'est pas de crier au loup, mais plutôt de nous interroger sur le sens profond de cette mutation et de ses conséquences.

Chaque produit a un coût qui dépend de sa nature même et en grande partie de la région du monde où il a été cultivé ou fabriqué. Des citoyens de pays en développement gagnent pour fabriquer des objets de grande consommation mondiale souvent moins de 100 US $ par mois. On peut penser que cela est choquant - ou pas - mais ce dont on est sûr, c'est que ces pays émergents verront sous peu le niveau de vie de leurs habitants augmenter.

Maintenant regardons la situation de la photo, principalement produite dans les pays occidentaux, où le salaire minimum moyen est d'environ 1000 € par mois, par des photographes professionnels qui eux ont vu leurs revenus chuter de 30 à 50 % depuis 5 ans. Je parle bien sûr uniquement de ceux qui sont encore photographes.

La question qui se pose est de savoir si il y a encore une place pour la photo ou tout au moins pour les photographes. Seraient-ils, comme les derniers Dodos, voués à disparaître alors que la photo est partout, dans chaque moment de notre vie ?

Le monde serait-il devenu schizophrène ? Sans doute.

Mais nous avons le pouvoir, chacun d'entre nous, photographes, agences, éditeurs, rédacteurs de magazines, publicitaires, de nous interroger et d'agir. Les deux premiers peuvent décider de ne pas vendre si le prix proposé est trop bas et sans rapport avec le travail fourni, les autres peuvent décider d'acheter les photos juste un peu plus cher.

Inimaginable ? Non, il y a d'autres exemples. Des milliers de consommateurs sont prêts à payer leur café 30 % de plus parce qu'il est équitable et que ce prix juste permettra à de petits producteurs et à leur famille d'avoir une vie décente.

Lorsque l'on achète une image 1 euro, permet-on au photographe une vie décente ?

Pour arriver au salaire minimum mentionné plus haut, il faut vendre 1000 images (2000 si les images sont vendues par une agence). Combien d'images doivent être produites pour en vendre 2000 ? En tout cas plus que ne le peut un seul photographe par mois !

Si les photographes ne peuvent pas vivre de leur travail, ils vont disparaître. C'est une évidence. Dans le meilleur (ou le pire) des cas, ils continueront la photo comme un hobby.

Qui fournira alors, les photos de nos magazines, de nos livres? Des grosses agences photographiques internationales propriétaires de leur fonds qui imposent une vision unique du monde et des amateurs...

Amateur n'a rien de péjoratif sous les touches de mon clavier. Le photographe amateur fait des photos parce qu'il a rêvé devant des images de professionnels et il a mis sa patience et sa passion à tendre vers l'excellence que représentait ces modèles. Cependant l'amateur, par son statut même, n'a pas les exigences du photographe professionnel. Exigences de rentabilité financière, puisque son revenu vient d'autres sources et exigence créative, car il a le choix de ne produire que des images qui lui font plaisir.

Le corolaire de cette situation, c'est la disparition de la plupart des photographes qui faisaient par leur nombre et leurs multiples créations la richesse des fonds photographiques. Cette perte de talent, d'originalité et de diversité ne va pas se voir tout de suite. On s'habitue facilement à la banalisation des images qu'on nous propose. Le processus a déjà commencé.

Réfléchissons ensemble à nos responsabilités dans le processus. Une chose est sûre : pour que la photo soit durable, elle doit être équitable.


Catherine Deulofeu
Fondatrice de l'agence Biosphot